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nouvelles fantastiques 4ème

24 novembre 2009

Le veston ensorcelé, Dino Buzatti

 

LE VESTON ENSORCELE



 
 


 

Bien que j’apprécie l’élégance vestimentaire, je ne fais guère attention, habituellement, à la perfection plus ou moins grande avec laquelle sont coupés les complets de mes semblables.

Un soir pourtant, lors d’une réception dans une maison de Milan, je fis la connaissance d’un homme qui paraissait avoir la quarantaine et qui resplendissait littéralement à cause de la beauté linéaire, pure, absolue de son vêtement.

Je ne savais pas qui c’était, je le rencontrais pour la première fois et pendant la présentation, comme cela arrive toujours, il m’avait été impossible d’en comprendre le nom. Mais à un certain moment de la soirée je me trouvai près de lui et nous commençâmes à bavarder. Il semblait être un homme poli et fort civil avec toutefois un soupçon de tristesse. Avec une familiarité peut-être exagérée - si seulement Dieu m’en avait préservé ! - je lui fis compliments pour son élégance ; et j’osai même lui demander qui était son tailleur.

L’homme eut un curieux petit sourire, comme s’il s’était attendu à cette question.

« Presque personne ne le connaît, dit-il, et pourtant c’est un grand maître. Mais il ne travaille que lorsque ça lui chante. Pour quelques clients seulement.

- De sorte que moi... ?

- Oh ! vous pouvez essayer, vous pouvez toujours. Il s’appelle Corticella, Alfonso Corticella, rue Ferrara au 17.

- Il doit être très cher, j’imagine.

- Je le pense, oui mais à vrai dire je n’en sais rien. Ce costume il me l’a fait il y a trois ans et il ne m’a pas encore envoyé sa note.

- Corticella ? rue Ferrara, au 17, vous avez dit ?

- Exactement », répondit l’inconnu.

Et il me planta là pour se mêler à un autre groupe.

Au 17 de la rue Ferrara je trouvai une maison comme tant d’autres, et le logis d’Alfonso Corticella ressemblait à celui des autres tailleurs. Il vint en personne m’ouvrir la porte. C’était un petit vieillard aux cheveux noirs qui étaient sûrement teints.

A ma grande surprise, il ne fit aucune difficulté. Au contraire il paraissait désireux de me voir devenir son client. Je lui expliquai comment j’avais eu son adresse, je louai sa coupe et lui demandai de me faire un complet. Nous choisîmes un peigné gris puis il prit mes mesures et s’offrit de venir pour l’essayage chez moi. Je lui demandai son prix. Cela ne pressait pas, me répondit-il, nous nous mettrions toujours d’accord. Quel homme sympathique ! pensai-je tout d’abord. Et pourtant plus tard, comme je rentrai chez moi, je m’aperçus que le petit vieux m’avait produit un malaise (peut-être à cause de ses sourires trop insistants et trop doucereux). En somme je n’avais aucune envie de le revoir. Mais désormais le complet était commandé. Et quelque vingt jours plus tard il était prêt.

Quand on me le livra, je l’essayai, pour quelques secondes, devant mon miroir. C’était un chef-d’œuvre. Mais je ne sais trop pourquoi, peut-être à cause du souvenir du déplaisant petit vieux, je n’avais aucune envie de le porter. Et des semaines passèrent avant que je me décide.

Ce jour-là, je m’en souviendrai toujours. C’était un mardi d’avril et il pleuvait. Quand j’eus passé mon complet - pantalon, gilet et veston - je constatai avec plaisir qu’il ne me tiraillait pas et ne me gênait pas aux entournures comme le font toujours les vêtements neufs. Et pourtant il tombait à la perfection.

Par habitude je ne mets rien dans la poche droite de mon veston, mes papiers je les place dans la poche gauche. Ce qui explique pourquoi ce n’est que deux heures plus tard, au bureau, en glissant par hasard ma main dans la poche droite, que je m’aperçus qu’il y avait un papier dedans. Peut-être la note au tailleur ?

Non. C’était un billet de dix mille lires.

Je restai interdit. Ce n’était certes pas moi qui l’y avais mis. D’autre part il était absurde de penser à une plaisanterie du tailleur Corticella. Encore moins à un cadeau de ma femme de ménage, la seule personne qui avait eu l’occasion de s’approcher du complet après le tailleur. Est-ce que ce serait un billet de la Sainte Farce ? Je le regardai à contre-jour, je le comparai à d’autres. Plus authentique que lui c’était impossible.

L’unique explication, une distraction de Corticella. Peut-être qu’un client était venu lui verser un acompte, à ce moment-là il n’avait pas son portefeuille et, pour ne pas laisser traîner le billet, il l’avait glissé dans mon veston pendu à un cintre. Ce sont des choses qui peuvent arriver.

J’écrasai la sonnette pour appeler ma secrétaire. J’allais écrire un mot à Corticella et lui restituer cet argent qui n’était pas à moi. Mais, à ce moment, et je ne saurais en expliquer la raison, je glissai de nouveau ma main dans ma poche.

« Qu’avez-vous, monsieur ? Vous ne vous sentez pas bien ? » me demanda la secrétaire qui entrait alors.

J’avais dû pâlir comme la mort. Dans la poche mes doigts avaient rencontré les bords d’un morceau de papier qui n’y était pas quelques instants avant.

« Non, non, ce n’est rien, dis-je, un léger vertige. Ça m’arrive parfois depuis quelque temps. Sans doute un peu de fatigue. Vous pouvez aller, mon petit, j’avais à vous dicter une lettre mais nous le ferons plus tard. »

Ce n’est qu’une fois la secrétaire sortie que j’osai extirper la feuille de ma poche. C’était un autre billet de dix mille lires. Alors, je fis une troisième tentative. Et un troisième billet sortit.

Mon cœur se mit à battre la chamade. J’eus la sensation de me trouver entraîné, pour des raisons mystérieuses, dans la ronde d’un conte de fées comme ceux que l’on raconte aux enfants et que personne ne croit vrais.

Sous le prétexte que je ne me sentais pas bien, je quittai mon bureau et rentrai à la maison. J’avais besoin de rester seul. Heureusement la femme qui faisait mon ménage était déjà partie. Je fermai les portes, baissai les stores et commençai à extraire les billets l’un après l’autre aussi vite que je le pouvais, de la poche qui semblait inépuisable.

Je travaillai avec une tension spasmodique des nerfs dans la crainte de voir cesser d’un moment à l’autre le miracle. J’aurais voulu continuer toute la soirée, toute la nuit jusqu’à accumuler des milliards. Mais à un certain moment les forces me manquèrent.

Devant moi il y avait un tas impressionnant de billets de banque. L’important maintenant était de les dissimuler, pour que personne n’en ait connaissance. Je vidai une vieille malle pleine de tapis et, dans le fond, je déposai par liasses les billets que je comptai au fur et à mesure. Il y en avait largement pour cinquante millions.

Quand je me réveillai le lendemain matin, la femme de ménage était là, stupéfaite de me trouver tout habillé sur mon lit. Je m’efforçai de rire, en lui expliquant que la veille au soir j’avais bu un verre de trop et que le sommeil m’avait surpris à l’improviste.

Une nouvelle angoisse : la femme se proposait pour m’aider à enlever mon veston afin de lui donner au moins un coup de brosse.

Je répondis que je devais sortir tout de suite et que je n’avais pas le temps de me changer. Et puis je me hâtai vers un magasin de confection pour acheter un vêtement semblable au mien en tous points ; je laisserai le nouveau aux mains de ma femme de ménage ; le mien, celui qui ferait de moi en quelques jours un des hommes les plus puissants du monde, je le cacherai en lieu sûr.

Je ne comprenais pas si je vivais un rêve, si j’étais heureux ou si au contraire je suffoquais sous le poids d’une trop grande fatalité. En chemin, à travers mon imperméable je palpais continuellement l’endroit de la poche magique. Chaque fois je soupirais de soulagement. Sous l’étoffe le réconfortant froissement du papier-monnaie me répondait.

Mais une singulière coïncidence refroidit mon délire joyeux. Sur les journaux du matin de gros titres ; l’annonce d’un cambriolage survenu la veille occupait presque toute la première page. La camionnette blindée d’une banque qui, après avoir fait le tour des succursales, allait transporter au siège central les versements de la journée, avait été arrêtée et dévalisée rue Palmanova par quatre bandits. Comme les gens accouraient, un des gangsters, pour protéger sa fuite, s’était mis à tirer. Un des passants avait été tué. Mais c’est surtout le montant du butin qui me frappa : exactement cinquante millions (comme les miens).

Pouvait-il exister un rapport entre ma richesse soudaine et le hold-up de ces bandits survenu presque en même temps ? Cela semblait ridicule de le penser. Et je ne suis pas superstitieux. Toutefois l’événement me laissa très perplexe.

Plus on possède et plus on désire. J’étais déjà riche, compte tenu de mes modestes habitudes. Mais le mirage d’une existence de luxe effréné m’éperonnait. Et le soir même je me remis au travail. Maintenant je procédais avec plus de calme et les nerfs moins tendus. Cent trente-cinq autres millions s’ajoutèrent au trésor précédent.

Cette nuit-là je ne réussis pas à fermer l’œil. Etait-ce le pressentiment d’un danger ? Ou la conscience tourmentée de l’homme qui obtient sans l’avoir méritée une fabuleuse fortune ? Ou une espèce de remords confus ? Aux premières heures de l’aube je sautai du lit, m’habillai et courus dehors en quête d’un journal.

Comme je lisai, le souffle me manqua. Un terrible incendie provoqué par un dépôt de pétrole qui s’était enflammé avait presque complètement détruit un immeuble dans la rue de San Cloro, en plein centre. Entre autres, les coffres d’une grande agence immobilière qui contenaient plus de cent trente millions en espèces avaient été détruits. Deux pompiers avaient trouvé la mort en combattant le sinistre.

Dois-je maintenant énumérer un par un tous mes forfaits ? Oui, parce que désormais je savais que l’argent que le veston me procurait venait du crime, du sang, du désespoir, de la mort, venait de l’enfer. Mais insidieusement ma raison refusait railleusement d’admettre une quelconque responsabilité de ma part. Et alors la tentation revenait, et alors ma main - c’était tellement facile - se glissait dans ma poche et mes doigts, avec une volupté soudaine, étreignaient les coins d’un billet toujours nouveau. L’argent, le divin argent !

Sans quitter mon ancien appartement (pour ne pas attirer l’attention) je m’étais acheté en peu de temps une grande villa, je possédais une précieuse collection de tableaux, je circulais en automobile de luxe et, après avoir quitté mon emploi « pour raison de santé », je voyageais et parcourais le monde en compagnie de femmes merveilleuses.

Je savais que chaque fois que je soutirais l’argent de mon veston, il se produisait dans le monde quelque chose d’abject et de douloureux. Mais c’était toujours une concordance vague, n’était pas étayée par des preuves logiques. En attendant, à chacun de mes encaissements, ma conscience se dégradait, devenait de plus en plus vile. Et le tailleur ? Je lui téléphonai pour demander sa note mais personne ne répondait. Via Ferrara on me dit qu’il avait émigré, il était à l’étranger, on ne savait pas où. Tout conspirait pour me démontrer que, sans le savoir, j’avais fait un pacte avec le démon.

Cela dura jusqu’au jour où dans l’immeuble que j’habitais depuis de longues années, on découvrit un matin une sexagénaire retraitée asphyxiée par le gaz ; elle s’était tuée parce qu’on avait perdu les trente mille lires de sa pension qu’elle avait touchée la veille (et qui avaient fini dans mes mains).

Assez, assez ! pour ne pas m’enfoncer dans l’abîme, je devais me débarrasser de mon veston. Mais non pas en le cédant à quelqu’un d’autre, parce que l’opprobre aurait continué (qui aurait pu résister à un tel attrait ?). Il devenait indispensable de le détruire.

J’arrivai en voiture dans une vallée perdue des Alpes. Je laissai mon auto sur un terre-plein herbeux et je me dirigeai droit sur le bois. Il n’y avait pas âme qui vive. Après avoir dépassé le bourg, j’atteignis le gravier de la moraine. Là, entre deux gigantesques rochers, je tirai du sac tyrolien l’infâme veston, l’imbibai d’essence et y mis le feu. En quelques minutes il ne resta que des cendres.

Mais à la dernière lueur des flammes, derrière moi - à deux ou trois mètres aurait-on dit -, une voix humaine retentit : « Trop tard, trop tard ! » Terrorisé je me retournai d’un mouvement brusque comme si un serpent m’avait piqué. Mais il n’y avait personne en vue. J’explorai tout alentour sautant d’une roche à l’autre, pour débusquer le maudit qui me jouait ce tour. Rien. Il n’y avait que des pierres.

Malgré l’épouvante que j’éprouvais, je redescendis dans la vallée, avec une sensation de soulagement. Libre finalement. Et riche, heureusement.

Mais sur le talus, ma voiture n’était plus là. Et lorsque je fus rentré en ville, ma somptueuse villa avait disparu ; à sa place un pré inculte avec l’écriteau « Terrain communal à vendre. » Et mes comptes en banque, je ne pus m’expliquer comment, étaient complètement épuisés. Disparus de mes nombreux coffres-forts les gros paquets d’actions. Et de la poussière, rien que de la poussière, dans la vieille malle.

Désormais j’ai repris péniblement mon travail, je m’en tire à grand-peine, et ce qui est étrange, personne ne semble surpris par ma ruine subite.

Et je sais que ce n’est pas encore fini. Je sais qu’un jour la sonnette de la porte retentira, j’irai ouvrir et je trouverai devant moi ce tailleur de malheur, avec son sourire abject, pour l’ultime règlement de comptes.


 

       Dino Buzatti, « Le veston ensorcelé », Le K, 1966

 

 

   

 

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24 novembre 2009

Sur l'eau, Maupassant

SUR L'EAU

    J'avais loué, l'été dernier, une petite maison de campagne au bord de la Seine, à plusieurs lieues de Paris, et j'allais y coucher tous les soirs. Je fis, au bout de quelques jours, la connaissance d'un de mes voisins, un homme de trente à quarante ans, qui était bien le type le plus curieux que j'eusse jamais vu. C'était un vieux canotier, mais un canotier enragé, toujours près de l'eau, toujours sur l'eau, toujours dans l'eau. Il devait être né dans un canot, et il mourra bien certainement dans le canotage final.
    Un soir que nous nous promenions au bord de la Seine, je lui demandai de me raconter quelques anecdotes de sa vie nautique. Voilà immédiatement mon bonhomme qui s'anime, se transfigure, devient éloquent, presque poète. Il avait dans le coeur une grande passion, une passion dévorante, irrésistible : la rivière.

    Ah ! me dit-il, combien j'ai de souvenirs sur cette rivière que vous voyez couler là près de nous ! Vous autres, habitants des rues, vous ne savez pas ce qu'est la rivière. Mais écoutez un pêcheur prononcer ce mot. Pour lui, c'est la chose mystérieuse, profonde, inconnue, le pays des mirages et des fantasmagories, où l'on voit, la nuit, des choses qui ne sont pas, où l'on entend des bruits que l'on ne connaît point, où l'on tremble sans savoir pourquoi, comme en traversant un cimetière : et c'est en effet le plus sinistre des cimetières, celui où l'on n'a point de tombeau.
    La terre est bornée pour le pêcheur, et dans l'ombre, quand il n'y a pas de lune, la rivière est illimitée. Un marin n'éprouve point la même chose pour la mer. Elle est souvent dure et méchante c'est vrai, mais elle crie, elle hurle, elle est loyale, la grande mer ; tandis que la rivière est silencieuse et perfide. Elle ne gronde pas, elle coule toujours sans bruit, et ce mouvement éternel de l'eau qui coule est plus effrayant pour moi que les hautes vagues de l'Océan.
    Des rêveurs prétendent que la mer cache dans son sein d'immenses pays bleuâtres, où les noyés roulent parmi les grands poissons, au milieu d'étranges forêts et dans des grottes de cristal. La rivière n'a que des profondeurs noires où l'on pourrit dans la vase. Elle est belle pourtant quand elle brille au soleil levant et qu'elle clapote doucement entre ses berges couvertes de roseaux qui murmurent.
    Le poète a dit en parlant de l'Océan :

Ô flots, que vous savez de lugubres histoires !
Flots profonds, redoutés des mères à genoux,
Vous vous les racontez en montant les marées
Et c'est ce qui vous fait ces voix désespérées
Que vous avez, le soir, quand vous venez vers nous.

    Eh bien, je crois que les histoires chuchotées par les roseaux minces avec leurs petites voix si douces doivent être encore plus sinistres que les drames lugubres racontés par les hurlements des vagues.
    Mais puisque vous me demandez quelques-uns de mes souvenirs, je vais vous dire une singulière aventure qui m'est arrivée ici, il y a une dizaine d'années.
    J'habitais, comme aujourd'hui, la maison de la mère Lafon, et un de mes meilleurs camarades, Louis Bernet, qui a maintenant renoncé au canotage, à ses pompes et à son débraillé pour entrer au Conseil d'État, était installé au village de C..., deux lieues plus bas. Nous dînions tous les jours ensemble, tantôt chez lui, tantôt chez moi.
    Un soir, comme je revenais tout seul et assez fatigué, traînant péniblement mon gros bateau, un océan de douze pieds, dont je me servais toujours la nuit, je m'arrêtai quelques secondes pour reprendre haleine auprès de la pointe des roseaux, là-bas, deux cents mètres environ avant le pont du chemin de fer. Il faisait un temps magnifique ; la lune resplendissait, le fleuve brillait, l'air était calme et doux. Cette tranquillité me tenta ; je me dis qu'il ferait bien bon fumer une pipe en cet endroit. L'action suivit la pensée ; je saisis mon ancre et la jetai dans la rivière.
    Le canot, qui redescendait avec le courant, fila sa chaîne jusqu'au bout, puis s'arrêta ; et je m'assis à l'arrière sur ma peau de mouton, aussi commodément qu'il me fut possible. On n'entendait rien, rien : parfois seulement, je croyais saisir un petit clapotement presque insensible de l'eau contre la rive, et j'apercevais des groupes de roseaux plus élevés qui prenaient des figures surprenantes et semblaient par moments s'agiter.
    Le fleuve était parfaitement tranquille, mais je me sentis ému par le silence extraordinaire qui m'entourait. Toutes les bêtes, grenouilles et crapauds, ces chanteurs nocturnes des marécages, se taisaient. Soudain, à ma droite, contre moi, une grenouille coassa. Je tressaillis : elle se tut ; je n'entendis plus rien, et je résolus de fumer un peu pour me distraire. Cependant, quoique je fusse un culotteur de pipes renommé, je ne pus pas ; dès la seconde bouffée, le coeur me tourna et je cessai. Je me mis à chantonner ; le son de ma voix m'était pénible ; alors, je m'étendis au fond du bateau et je regardai le ciel. Pendant quelque temps, je demeurai tranquille, mais bientôt les légers mouvements de la barque m'inquiétèrent. Il me sembla qu'elle faisait des embardées gigantesques, touchant tour à tour les deux berges du fleuve ; puis je crus qu'un être ou qu'une force invisible l'attirait doucement au fond de l'eau et la soulevait ensuite pour la laisser retomber. J'étais ballotté comme au milieu d'une tempête ; j'entendis des bruits autour de moi ; je me dressai d'un bond : l'eau brillait, tout était calme.
    Je compris que j'avais les nerfs un peu ébranlés et je résolus de m'en aller. Je tirai sur ma chaîne ; le canot se mit en mouvement, puis je sentis une résistance, je tirai plus fort, l'ancre ne vint pas ; elle avait accroché quelque chose au fond de l'eau et je ne pouvais la soulever ; je recommençai à tirer, mais inutilement. Alors, avec mes avirons, je fis tourner mon bateau et je le portai en amont pour changer la position de l'ancre. Ce fut en vain, elle tenait toujours ; je fus pris de colère et je secouai la chaîne rageusement. Rien ne remua. Je m'assis découragé et je me mis à réfléchir sur ma position. Je ne pouvais songer à casser cette chaîne ni à la séparer de l'embarcation, car elle était énorme et rivée à l'avant dans un morceau de bois plus gros que mon bras ; mais comme le temps demeurait fort beau, je pensai que je ne tarderais point, sans doute, à rencontrer quelque pêcheur qui viendrait à mon secours. Ma mésaventure m'avait calmé ; je m'assis et je pus enfin fumer ma pipe. Je possédais une bouteille de rhum, j'en bus deux ou trois verres, et ma situation me fit rire. Il faisait très chaud, de sorte qu'à la rigueur je pouvais, sans grand mal, passer la nuit à la belle étoile.
    Soudain, un petit coup sonna contre mon bordage. Je fis un soubresaut, et une sueur froide me glaça des pieds à la tête. Ce bruit venait sans doute de quelque bout de bois entraîné par le courant, mais cela avait suffi et je me sentis envahi de nouveau par une étrange agitation nerveuse. Je saisis ma chaîne et je me raidis dans un effort désespéré. L'ancre tint bon. Je me rassis épuisé.
    Cependant, la rivière s'était peu à peu couverte d'un brouillard blanc très épais qui rampait sur l'eau fort bas, de sorte que, en me dressant debout, je ne voyais plus le fleuve, ni mes pieds, ni mon bateau, mais j'apercevais seulement les pointes des roseaux, puis, plus loin, la plaine toute pâle de la lumière de la lune, avec de grandes taches noires qui montaient dans le ciel, formées par des groupes de peupliers d'Italie. J'étais comme enseveli jusqu'à la ceinture dans une nappe de coton d'une blancheur singulière, et il me venait des imaginations fantastiques. Je me figurais qu'on essayait de monter dans ma barque que je ne pouvais plus distinguer, et que la rivière, cachée par ce brouillard opaque, devait être pleine d'être étranges qui nageaient autour de moi. J'éprouvais un malaise horrible, j'avais les tempes serrées, mon coeur battait à m'étouffer ; et, perdant la tête, je pensai à me sauver à la nage ; puis aussitôt cette idée me fit frissonner d'épouvante. Je me vis, perdu, allant à l'aventure dans cette brume épaisse, me débattant au milieu des herbes et des roseaux que je ne pourrais éviter, râlant de peur, ne voyant pas la berge, ne retrouvant plus mon bateau, et il me semblait que je me sentirais tiré par les pieds tout au fond de cette eau noire.
    En effet, comme il m'eût fallu remonter le courant au moins pendant cinq cents mètres avant de trouver un point libre d'herbes et de joncs où je pusse prendre pied, il y avait pour moi neuf chances sur dix de ne pouvoir me diriger dans ce brouillard et de me noyer, quelque bon nageur que je fusse.
    J'essayai de me raisonner. Je me sentais la volonté bien ferme de ne point avoir peur, mais il y avait en moi autre chose que ma volonté, et cette autre chose avait peur. Je me demandai ce que je pouvais redouter ; mon moi brave railla mon moi poltron, et jamais aussi bien que ce jour-là je ne saisis l'opposition des deux êtres qui sont en nous, l'un voulant, l'autre résistant, et chacun l'emportant tour à tour.
    Cet effroi bête et inexplicable grandissait toujours et devenait de la terreur. Je demeurais immobile, les yeux ouverts, l'oreille tendue et attendant. Quoi ? Je n'en savais rien, mais ce devait être terrible. Je crois que si un poisson se fût avisé de sauter hors de l'eau, comme cela arrive souvent, il n'en aurait pas fallu davantage pour me faire tomber raide, sans connaissance.
    Cependant, par un effort violent, je finis par ressaisir à peu près ma raison qui m'échappait. Je pris de nouveau ma bouteille de rhum et je bus à grands traits. Alors une idée me vint et je me mis à crier de toutes mes forces en me tournant successivement vers les quatre points de l'horizon. Lorsque mon gosier fut absolument paralysé, j'écoutai. - Un chien hurlait, très loin.
    Je bus encore et je m'étendis tout de mon long au fond du bateau. Je restai ainsi peut-être une heure, peut-être deux, sans dormir, les yeux ouverts, avec des cauchemars autour de moi. Je n'osais pas me lever et pourtant je le désirais violemment ; je remettais de minute en minute. Je me disais : " Allons, debout ! " et j'avais peur de faire un mouvement. A la fin, je me soulevai avec des précautions infinies, comme si ma vie eût dépendu du moindre bruit que j'aurais fait, et je regardai par-dessus le bord.
    Je fus ébloui par le plus merveilleux, le plus étonnant spectacle qu'il soit possible de voir. C'était une de ces fantasmagories du pays des fées, une de ces visions racontées par les voyageurs qui reviennent de très loin et que nous écoutons sans les croire.
    Le brouillard qui, deux heures auparavant, flottait sur l'eau, s'était peu à peu retiré et ramassé sur les rives. Laissant le fleuve absolument libre, il avait formé sur chaque berge une colline ininterrompue, haute de six ou sept mètres, qui brillait sous la lune avec l'éclat superbe des neiges. De sorte qu'on ne voyait rien autre chose que cette rivière lamée de feu entre ces deux montagnes blanches ; et là-haut, sur ma tête, s'étalait, pleine et large, une grande lune illuminante au milieu d'un ciel bleuâtre et laiteux.
    Toutes les bêtes de l'eau s'étaient réveillées ; les grenouilles coassaient furieusement, tandis que, d'instant en instant, tantôt à droite, tantôt à gauche, j'entendais cette note courte, monotone et triste, que jette aux étoiles la voix cuivrée des crapauds. Chose étrange, je n'avais plus peur ; j'étais au milieu d'un paysage tellement extraordinaire que les singularités les plus fortes n'eussent pu m'étonner.
    Combien de temps cela dura-t-il, je n'en sais rien, car j'avais fini par m'assoupir. Quand je rouvris les yeux, la lune était couchée, le ciel plein de nuages. L'eau clapotait lugubrement, le vent soufflait, il faisait froid, l'obscurité était profonde.
    Je bus ce qui me restait de rhum, puis j'écoutai en grelottant le froissement des roseaux et le bruit sinistre de la rivière. Je cherchai à voir, mais je ne pus distinguer mon bateau, ni mes mains elles-mêmes, que j'approchais de mes yeux.
    Peu à peu, cependant, l'épaisseur du noir diminua. Soudain je crus sentir qu'une ombre glissait tout près de moi ; je poussai un cri, une voix répondit ; c'était un pêcheur. Je l'appelai, il s'approcha et je lui racontai ma mésaventure. Il mit alors son bateau bord à bord avec le mien, et tous les deux nous tirâmes sur la chaîne. L'ancre ne remua pas. Le jour venait, sombre, gris, pluvieux, glacial, une de ces journées qui vous apportent des tristesses et des malheurs. J'aperçus une autre barque, nous la hélâmes. L'homme qui la montait unit ses efforts aux nôtres ; alors, peu à peu, l'ancre céda. Elle montait, mais doucement, doucement, et chargée d'un poids considérable. Enfin nous aperçûmes une masse noire, et nous la tirâmes à mon bord :
    C'était le cadavre d'une vieille femme qui avait une grosse pierre au cou.

mai 1881

24 novembre 2009

La main, Maupassant

LA MAIN

    On faisait cercle autour de M. Bermutier, juge d'instruction qui donnait son avis sur l'affaire mystérieuse de Saint-Cloud. Depuis un mois, cet inexplicable crime affolait Paris. Personne n'y comprenait rien.
    M. Bermutier, debout, le dos à la cheminée, parlait, assemblait les preuves, discutait les diverses opinions, mais ne concluait pas.
    Plusieurs femmes s'étaient levées pour s'approcher et demeuraient debout, l'œil fixé sur la bouche rasée du magistrat d'où sortaient les paroles graves. Elles frissonnaient, vibraient, crispées par leur peur curieuse, par l'avide et insatiable besoin d'épouvante qui hante leur âme, les torture comme une faim.
    Une d'elles, plus pâle que les autres, prononça pendant un silence:
    - C'est affreux. Cela touche au "surnaturel". On ne saura jamais rien.
    Le magistrat se tourna vers elle:
    - Oui, madame, il est probable qu'on ne saura jamais rien. Quand au mot "surnaturel" que vous venez d'employer, il n'a rien à faire ici. Nous sommes en présence d'un crime fort habilement conçu, fort habilement exécuté, si bien enveloppé de mystère que nous ne pouvons le dégager des circonstances impénétrables qui l'entourent. Mais j'ai eu, moi, autrefois, à suivre une affaire où vraiment semblait se mêler quelque chose de fantastique. Il a fallu l'abandonner, d'ailleurs, faute de moyens de l'éclaircir.
    Plusieurs femmes prononcèrent en même temps, si vite que leurs voix n'en firent qu'une:
    - Oh! dites-nous cela.
    M. Bermutier sourit gravement, comme doit sourire un juge d'instruction. Il reprit:
    - N'allez pas croire, au moins, que j'aie pu, même un instant, supposer en cette aventure quelque chose de surhumain. Je ne crois qu'aux causes normales. Mais si, au lieu d'employer le mot "surnaturel" pour exprimer ce que nous ne comprenons pas, nous nous servions simplement du mot "inexplicable", cela vaudrait beaucoup mieux. En tout cas, dans l'affaire que je vais vous dire, ce sont surtout les circonstances environnantes, les circonstances préparatoires qui m'ont ému. Enfin, voici les faits:
    J'étais alors juge d'instruction à Ajaccio, une petite ville blanche, couchée au bord d'un admirable golfe qu'entourent partout de hautes montagnes.
    Ce que j'avais surtout à poursuivre là-bas, c'étaient les affaires de vendetta. Il y en a de superbes, de dramatiques au possible, de féroces, d'héroïques. Nous retrouvons là les plus beaux sujets de vengeance qu'on puisse rêver, les haines séculaires, apaisées un moment, jamais éteintes, les ruses abominables, les assassinats devenant des massacres et presque des actions glorieuses. Depuis deux ans, je n'entendais parler que du prix du sang, que de ce terrible préjugé corse qui force à venger toute injure sur la personne qui l'a faite, sur ses descendants et ses proches. J'avais vu égorger des vieillards, des enfants, des cousins, j'avais la tête pleine de ces histoires.
    Or, j'appris un jour qu'un Anglais venait de louer pour plusieurs années une petite villa au fond du golfe. Il avait amené avec lui un domestique français, pris à Marseille en passant.
    Bientôt tout le monde s'occupa de ce personnage singulier, qui vivait seul dans sa demeure, ne sortant que pour chasser et pour pêcher. Il ne parlait à personne, ne venait jamais à la ville, et, chaque matin, s'exerçait pendant une heure ou deux, à tirer au pistolet et à la carabine.
    Des légendes se firent autour de lui. On prétendit que c'était un haut personnage fuyant sa patrie pour des raisons politiques; puis on affirma qu'il se cachait après avoir commis un crime épouvantable. On citait même des circonstances particulièrement horribles.
    Je voulus, en ma qualité de juge d'instruction, prendre quelques renseignements sur cet homme; mais il me fut impossible de rien apprendre. Il se faisait appeler sir John Rowell.
    Je me contentai donc de le surveiller de près; mais on ne me signalait, en réalité, rien de suspect à son égard.
    Cependant, comme les rumeurs sur son compte continuaient, grossissaient, devenaient générales, je résolus d'essayer de voir moi-même cet étranger, et je me mis à chasser régulièrement dans les environs de sa propriété.
    J'attendis longtemps une occasion. Elle se présenta enfin sous la forme d'une perdrix que je tirai et que je tuai devant le nez de l'Anglais. Mon chien me la rapporta; mais, prenant aussitôt le gibier, j'allai m'excuser de mon inconvenance et prier sir John Rowell d'accepter l'oiseau mort.
    C'était un grand homme à cheveux rouges, à barbe rouge, très haut, très large, une sorte d'hercule placide et poli. Il n'avait rien de la raideur dite britannique et il me remercia vivement de ma délicatesse en un français accentué d'outre-Manche. Au bout d'un mois, nous avions causé ensemble cinq ou six fois.
    Un soir enfin, comme je passais devant sa porte, je l'aperçus qui fumait sa pipe, à cheval sur une chaise, dans son jardin. Je le saluai, et il m'invita à entrer pour boire un verre de bière. Je ne me le fis pas répéter.
    Il me reçut avec toute la méticuleuse courtoisie anglaise, parla avec éloge de la France, de la Corse, déclara qu'il aimait beaucoup cette pays, cette rivage.
    Alors je lui posai, avec de grandes précautions et sous la forme d'un intérêt très vif, quelques questions sur sa vie, sur ses projets. Il répondit sans embarras, me raconta qu'il avait beaucoup voyagé, en Afrique, dans les Indes, en Amérique. Il ajouta en riant:
    - J'avé eu bôcoup d'aventures, oh! yes.
    Puis je me remis à parler chasse, et il me donna des détails les plus curieux sur la chasse à l'hippopotame, au tigre, à l'éléphant et même la chasse au gorille.
    Je dis:
    - Tous ces animaux sont redoutables.
    Il sourit:
    - Oh! nô, le plus mauvais c'été l'homme.
    Il se mit à rire tout à fait, d'un bon rire de gros Anglais content:
    - J'avé beaucoup chassé l'homme aussi.
    Puis il parla d'armes, et il m'offrit d'entrer chez lui pour me montrer des fusils de divers systèmes.
    Son salon était tendu de noir, de soie noire brodée d'or. De grandes fleurs jaunes couraient sur l'étoffe sombre, brillaient comme du feu.
    Il annonça:
    - C'été une drap japonaise.
    Mais, au milieu du plus large panneau, une chose étrange me tira l'œil. Sur un carré de velours rouge, un objet noir se détachait. Je m'approchai: c'était une main, une main d'homme. Non pas une main de squelette, blanche et propre, mais une main noire desséchée, avec les ongles jaunes, les muscles à nu et des traces de sang ancien, de sang pareil à une crasse, sur les os coupés net, comme d'un coup de hache, vers le milieu de l'avant bras.
    Autour du poignet, une énorme chaîne de fer, rivée, soudée à ce membre malpropre, l'attachait au mur par un anneau assez fort pour tenir un éléphant en laisse.
    Je demandai:
    - Qu'est-ce que cela?
    L'Anglais répondit tranquillement:
    - C'été ma meilleur ennemi. Il vené d'Amérique. Il avé été fendu avec le sabre et arraché la peau avec une caillou coupante, et séché dans le soleil pendant huit jours. Aoh, très bonne pour moi, cette.
    Je touchai ce débris humain qui avait dû appartenir à un colosse. Les doigts, démesurément longs, étaient attachés par des tendons énormes que retenaient des lanières de peau par places. Cette main était affreuse à voir, écorchée ainsi, elle faisait penser naturellement à quelque vengeance de sauvage.
    Je dis:
    - Cet homme devait être très fort.
    L'Anglais prononça avec douceur:
    - Aoh yes; mais je été plus fort que lui. J'avé mis cette chaîne pour le tenir.
    Je crus qu'il plaisantait. Je dis:
    - Cette chaîne maintenant est bien inutile, la main ne se sauvera pas.
    Sir John Rowell reprit gravement:
    - Elle voulé toujours s'en aller. Cette chaîne été nécessaire.
    D'un coup d'œil rapide j'interrogeai son visage, me demandant:
    - Est-ce un fou, ou un mauvais plaisant?
    Mais la figure demeurait impénétrable, tranquille et bienveillante. Je parlai d'autre chose et j'admirai les fusils.
    Je remarquai cependant que trois revolvers chargés étaient posés sur les meubles, comme si cet homme eût vécu dans la crainte constante d'une attaque.
    Je revins plusieurs fois chez lui. Puis je n'y allai plus. On s'était accoutumé à sa présence; il était devenu indifférent à tous.

    Une année entière s'écoula. Or, un matin, vers la fin de novembre, mon domestique me réveilla en m'annonçant que sir John Rowell avait été assassiné dans la nuit.
    Une demi-heure plus tard, je pénétrais dans la maison de l'Anglais avec le commissaire central et le capitaine de gendarmerie. Le valet, éperdu et désespéré, pleurait devant la porte. Je soupçonnai d'abord cet homme, mais il était innocent.
    On ne put jamais trouver le coupable.
    En entrant dans le salon de sir John, j'aperçus du premier coup d'œil le cadavre étendu sur le dos, au milieu de la pièce.
    Le gilet était déchiré, une manche arrachée pendait, tout annonçait qu'une lutte terrible avait eu lieu.
    L'Anglais était mort étranglé! Sa figure noire et gonflée, effrayante, semblait exprimer une épouvante abominable; il tenait entre ses dents serrées quelque chose; et le cou, percé de cinq trous qu'on aurait dits faits avec des pointes de fer, était couvert de sang.
    Un médecin nous rejoignit. Il examina longtemps les traces des doigts dans la chair et prononça ces étranges paroles:
    - On dirait qu'il a été étranglé par un squelette.
    Un frisson me passa dans le dos, et je jetai les yeux sur le mur, à la place où j'avais vu jadis l'horrible main d'écorché. Elle n'y était plus. La chaîne, brisée, pendait.
    Alors je me baissai vers le mort, et je trouvai dans sa bouche crispée un des doigts de cette main disparue, coupé ou plutôt scié par les dents juste à la deuxième phalange.
    Puis on procéda aux constatations. On ne découvrit rien. Aucune porte n'avait été forcée, aucune fenêtre, aucun meuble. Les deux chiens de garde ne s'étaient pas réveillés.
    Voici, en quelques mots, la déposition du domestique:
    Depuis un mois, son maître semblait agité. Il avait reçu beaucoup de lettres, brûlées à mesure.
    Souvent, prenant une cravache, dans une colère qui semblait de démence, il avait frappé avec fureur cette main séchée, scellée au mur et enlevée, on ne sait comment, à l'heure même du crime.
    Il se couchait fort tard et s'enfermait avec soin. Il avait toujours des armes à portée du bras. Souvent, la nuit, il parlait haut, comme s'il se fût querellé avec quelqu'un.
    Cette nuit-là, par hasard, il n'avait fait aucun bruit, et c'est seulement en venant ouvrir les fenêtres que le serviteur avait trouvé sir John assassiné. Il ne soupçonnait personne.
    Je communiquai ce que je savais du mort aux magistrats et aux officiers de la force publique, et on fit dans toute l'île une enquête minutieuse. On ne découvrit rien.
    Or, une nuit, trois mois après le crime, j'eus un affreux cauchemar. Il me sembla que je voyais la main, l'horrible main, courir comme un scorpion ou comme une araignée le long de mes rideaux et de mes murs. Trois fois, je me réveillai, trois fois je me rendormis, trois fois je revis le hideux débris galoper autour de ma chambre en remuant les doigts comme des pattes.
    Le lendemain, on me l'apporta, trouvé dans le cimetière, sur la tombe de sir John Rowell, enterré là; car on n'avait pu découvrir sa famille. L'index manquait.
    Voilà, mesdames, mon histoire. Je ne sais rien de plus.

    Les femmes, éperdues, étaient pâles, frissonnantes. Une d'elles s'écria:
    - Mais ce n'est pas un dénouement cela, ni une explication! Nous n'allons pas dormir si vous ne nous dites pas ce qui s'était passé, selon vous.
    Le magistrat sourit avec sévérité:
    - Oh! moi, mesdames, je vais gâter, certes, vos rêves terribles. Je pense tout simplement que le légitime propriétaire de la main n'était pas mort, qu'il est venu la chercher avec celle qui lui restait. Mais je n'ai pu savoir comment il a fait, par exemple. C'est là une sorte de vendetta.
    Une des femmes murmura:
    - Non, ça ne doit pas être ainsi.
    Et le juge d'instruction, souriant toujours, conclut:
    - Je vous avais bien dit que mon explication ne vous irait pas.

23 décembre 1883

24 novembre 2009

Le jeu du bouton, Richard Matheson

LE JEU DU BOUTON


Le paquet était déposé sur le seuil : un cartonnage cubique clos par une simple bande gommée, portant leur adresse en capitales écrites à la main : Mr. et Mrs. Arthur Lewis, 217E 37e Rue, New York. Norma le ramassa, tourna la clé dans la serrure et entra. La nuit tombait.
Quand elle eut mis les côtelettes d'agneau à rôtir, elle se confectionna un martini-vodka et s'assit pour défaire le paquet.
Elle y trouva une petite boîte en contreplaqué munie d'un bouton de commande. Ce bouton était protégé par un petit dôme de verre. Norma essaya de l'ôter, mais il était solidement rivé. Elle renversa la boite et vit une feuille de papier pliée, collée avec du scotch sur le fond de la caissette. Elle lut ceci : Mr. Steward se présentera chez vous ce soir à vingt heures.
Norma plaça la boîte à côté d'elle sur le sofa. Elle savoura son martini et relut en souriant la phrase dactylographiée.
Peu après, elle regagna la cuisine pour éplucher la salade.

A huit heures précises, le timbre de la porte retentit. «J'y vais », déclara Norma. Arthur était installé avec un livre dans la salle de séjour.
Un homme de petite taille se tenait sur le seuil. Il ôta son chapeau. «Mrs. Lewis? » s'enquit-il poliment.
- C'est moi.
- Je suis Mr. Steward.
- Ah ! bien. Norma réprima un sourire. Le classique représentant, elle en était maintenant certaine.
- Puis-je rentrer ?
- J'ai pas mal à faire, s'excusa Norma. Mais je vais vous rendre votre joujou. Elle amorça une volte-face.
- Ne voulez-vous pas savoir de quoi il s'agit ?
Norma s'arrêta. Le ton de Mr. Steward avait été plutôt sec.
- Je ne pense pas que ça nous intéresse, dit-elle.
- Je pourrais cependant vous prouver sa valeur.
- En bons dollars ? Riposta Norma.
Mr. Steward hocha la tête.
- En bons dollars, certes.
Norma fronça les sourcils. L'attitude du visiteur ne lui plaisait guère. « Qu'essayez-vous de vendre ? » demanda-t-elle.
- Absolument rien, madame.
Arthur sortit de la salle de séjour. «Une difficulté ? »
Mr. Steward se présenta.
- Ah ! Oui, le... Arthur eut un geste en direction du living. Il souriait. Alors, de quel genre de truc s'agit-il ?
- Ce ne sera pas long à expliquer, dit Mr. Steward. Puis-je entrer ?
- Si c'est pour vendre quelque chose...
Mr. Steward fit non de la tête. «Je ne vends rien. »
Arthur regarda sa femme. «A toi de décider », dit-elle.
Il hésita, puis «Après tout, pourquoi pas ? »
Ils entrèrent dans la salle de séjour et Mr. Steward prit place sur la chaise de Norma. Il fouilla dans une de ses poches et présenta une enveloppe cachetée. «Il y a là une clé permettant d'ouvrir le dôme qui protège le bouton», expliqua-t-il. Il posa l'enveloppe à côté de la chaise. «Ce bouton est relié à notre bureau. »
- Dans quel but? demanda Arthur.
- Si vous appuyez sur le bouton, quelque part dans le monde, en Amérique ou ailleurs, un être humain que vous ne connaissez pas mourra. Moyennant quoi vous recevrez cinquante mille dollars.
Norma regarda le petit homme avec des yeux écarquillés. Il souriait toujours. - Où voulez-vous en venir ? Exhala Arthur.
Mr. Steward parut stupéfait.
«Mais je viens de vous le dire. » Susurra-t-il.
- Si c'est une blague, elle n'est pas de très bon goût.
- Absolument pas. Notre offre est on ne peut plus sérieuse.
- Mais ça n'a pas de sens ! Insista Arthur. Vous voudriez nous faire croire...
- Et d'abord, quelle maison représentez-vous ? Intervint Norma.
Mr. Steward montra quelque embarras. «C'est ce que je regrette de ne pouvoir vous dire », s'excusa-t-il. «Néanmoins, je vous garantis que notre organisation est d'importance mondiale.
- Je pense que vous feriez mieux de vider les lieux, signifia Arthur en se levant.
Mr. Steward l’imita. «Comme il vous plaira. »
- Et de reprendre votre truc à bouton.
- Êtes-vous certain de ne pas préférer y réfléchir un jour ou deux ?  »
Arthur prit la boîte et l'enveloppe et les fourra de force entre les mains du visiteur. Puis il traversa le couloir et ouvrit la porte.
- Je vous laisse ma carte, déclara Mr. Steward. Il déposa le bristol sur le guéridon à côté de la porte.
Quand il fut sorti, Arthur déchira la carte en deux et jeta les morceaux sur le petit meuble. «Bon Dieu ! » proféra-t-il.
Norma était restée assise dans le living.
«De quel genre de truc s'agissait-il en réalité, à ton avis ?
- C'est bien le cadet de mes soucis ! Grommela-t-il.
Elle essaya de sourire, mais sans succès.
«Cela ne t'inspire aucune curiosité ? »
Il secoua la tête. « Aucune. » Une fois qu'Arthur eut repris son livre, Norma alla finir la vaisselle.

- Pourquoi ne veux-tu plus en parler ? demanda Norma.
Arthur, qui se brossait les dents, leva les yeux et regarda l'image de sa femme reflétée par le miroir de la salle de bains.
- Ça ne t'intrigue donc pas ? Insista-t-elle.
- Dis plutôt que ça ne me plaît pas du tout.
- Oui, je sais, mais... Norma plaça un nouveau rouleau dans ses cheveux. Ça ne t'intrigue pas quand même ? Tu penses qu'il s'agit d'une plaisanterie ? Poursuivit-elle au moment où ils gagnaient leur chambre.
- Si c'en est une, elle est plutôt sinistre.
Norma s'assit sur son lit et retira ses mules.
- C'est peut-être une nouvelle sorte de sondage d'opinion.
Arthur haussa les épaules. «Peut-être.
- Une idée de millionnaire un peu toqué, pourquoi pas ?
- Ça se peut.
- Tu n'aimerais pas savoir ?
Arthur secoua la tête.
- Mais pourquoi ?
- Parce que c'est immoral, scanda-t-il.
Norma se glissa entre les draps. «Eh bien, moi, je trouve qu'il y a de quoi être intrigué.»
Arthur éteignit, puis se pencha vers sa femme pour l'embrasser.
- Bonne nuit, chérie.
- Bonne nuit.
Elle lui tapota le dos.
Norma ferma les yeux. Cinquante mille dollars, songeait-elle.

Le lendemain, en quittant l'appartement, elle vit la carte déchirée sur le guéridon. D'un geste irraisonné, elle fourra les morceaux dans son sac. Puis elle ferma la porte à clé et rejoignit Arthur dans l'ascenseur.
Plus tard, profitant de la pause café, elle sortit les deux moitiés de bristol et les assembla. Il y avait simplement le nom de Mr. Steward et son numéro de téléphone.
Après le déjeuner, elle prît encore une fois la carte déchirée et la reconstitua avec du scotch. Pourquoi est-ce que je fais ça ? se demanda-t-elle.
Peu avant cinq heures, elle composait le numéro.
- Bonjour, modula la voix de Mr. Steward.
Norma fut sur le point de raccrocher, mais passa outre.
Elle s'éclaircit la voix. « Je suis Mrs. Lewis », dit-elle.
- Mrs. Lewis, parfaitement.
-Mr. Steward semblait fort bien disposé.
- Je me sens curieuse.
- C'est tout naturel, convint Mr. Steward.
- Notez que je ne crois pas un mot de ce que vous nous avez raconté.
- C'est pourtant rigoureusement exact, articula Mr. Steward.
- Enfin, bref...
Norma déglutit. Quand vous disiez que quelqu'un sur terre mourrait, qu'entendiez-vous par là ?
- Pas autre chose, Mrs. Lewis. Un être humain, n'importe lequel. Et nous vous garantissons même que vous ne le connaissez pas. Et aussi, bien entendu, que vous n’assisterez même pas à sa mort.
- En échange de cinquante mille dollars, insista Norma.
- C'est bien cela.
Elle eut un petit rire moqueur. «C'est insensé.»
- Ce n'en est pas moins la proposition que nous faisons. Souhaitez-vous que je vous réexpédie la petite boîte? Norma se cabra. «Jamais de la vie ! »
Elle raccrocha d'un geste rageur.

Le paquet était là, posé près du seuil. Norma le vit en sortant de l'ascenseur. Quel toupet ! Songea-t-elle. Elle lorgna le cartonnage sans aménité et ouvrit la porte. Non, se dit-elle, je ne le prendrai pas.
Elle entra et prépara le repas du soir.
Plus tard, elle alla avec son verre de martini-vodka jusqu'à l'antichambre. Entrebâillant la porte, elle ramassa le paquet et revint dans la cuisine, où elle le posa sur la table.
Elle s'assit dans le living, buvant son cocktail à petites gorgées, tout en regardant par la fenêtre. Au bout d'un moment, elle regagna la cuisine pour s'occuper des côtelettes. Elle cacha le paquet au fond d'un des placards. Elle se promit de s'en débarrasser dès le lendemain matin
- C'est peut-être un millionnaire qui cherche à s'amuser aux dépens des gens, dit-elle.
Arthur leva les yeux de son assiette. « Je ne te comprends vraiment pas.»
- Enfin, qu'est-ce que ça peut bien signifier ?
Norma mangea en silence puis, tout à coup, lâcha sa fourchette.
Arthur la dévisagea d'un oeil effaré.
- Oui. Si c'était une offre sérieuse ?
- Admettons. Et alors ? Il ne semblait pas se résoudre à conclure
- Que ferais tu ? Tu reprendrais cette boîte, tu presserais le bouton ? Tu accepterais d'assassiner quelqu'un ?
Norma eut une moue méprisante. « Oh ! Assassiner... »
- Et comment appellerais-tu ça, toi ?
- Puisqu'on ne connaîtrait même pas la personne ? Insista Norma.
Arthur montra un visage abasourdi. « Serais-tu en train d'insinuer ce que je crois deviner?
- S'il s'agit d'un vieux paysan chinois à quinze mille kilomètres de nous? Ou d'un nègre famélique du Congo ?
- Et pourquoi pas plutôt un bébé de Pennsylvanie ? Rétorqua Arthur. Ou une petite fille de l'immeuble voisin?
- Ah ! Voilà que tu pousses les choses au noir. - Où je veux en venir, Norma, c'est que peu importe qui serait tué. Un meurtre reste un meurtre.
- Et où je veux en venir, moi, c'est que s'il s'agissait d'un être que tu n'as jamais vu et que tu ne verras jamais, d'un être dont tu n'aurais même pas à savoir comment il est mort, tu refuserais malgré tout d'appuyer sur le bouton ?
Arthur regarda sa femme d'un air horrifié. « Tu veux dire que tu accepterais, toi ?
- Cinquante mille dollars, Arthur.
- Qu'est-ce que ça vient...
- Cinquante mille dollars, répéta Norma. L'occasion de faire ce voyage en Europe dont nous avons toujours parlé.
- Norma !
- L'occasion d'avoir notre pavillon en banlieue.
- Non, Norma. Arthur pâlissait. Pour l'amour de Dieu, non!
Elle haussa les épaules. « Allons, calme-toi. Pourquoi t'énerver ? Je ne faisais que supposer.» Après le dîner, Arthur gagna le living. Au moment de quitter la table, il dit : « Je préférerais ne plus en discuter, si tu n'y vois pas d'inconvénient.»
Norma fit un geste insouciant. «Entièrement d'accord. »

Elle se leva plus tôt que de coutume pour faire des crêpes et les oeufs au bacon à l'intention d'Arthur.
- En quel honneur ? demanda-t-il gaiement.
- En l'honneur de rien. Norma semblait piquée. J'ai voulu en faire, rien de plus.
- Bravo, apprécia-t-il. Je suis ravi.
Elle lui remplit de nouveau sa tasse. « Je tenais à te prouver que je ne suis pas ... » Elle s'interrompit avec un geste désabusé.
- Pas quoi ?
- Egoïste ?
- Ai-je jamais prétendu ça ?
- Ma foi... hier soir...
Arthur resta muet.
- Toute cette discussion à propos du bouton, reprit Norma. Je crois que... bref, que tu ne m'as pas comprise....
- Comment cela ? Il y avait de la méfiance dans la question d’Arthur.
- Je crois que tu t'es imaginé... (Nouveau geste vague) que je ne pensais qu'à moi seule.
- Oh !
- Et c'est faux.
- Norma, je...
- C'est faux, je le répète. Quand j'ai parlé du voyage en Europe, du pavillon...
- Norma ! Pourquoi attacher tant d'importance à cette histoire ?
- « Je n'y attache pas d'importance »
Elle s'interrompit, comme si elle avait du mal à trouver son souffle, puis : «J'essaie simplement de te faire comprendre que... »
- Que quoi ?
- Que si je pense à ce voyage, c'est pour nous deux. Que si je pense à un pavillon, c'est pour nous deux. Que si je pense à un appartement plus confortable, à des meubles plus beaux, à des vêtements de meilleure qualité, c'est pour nous deux. Et que si je pense à un bébé puisqu'il faut tout dire, c'est pour nous deux, toujours !
- Mais tout cela, Norma, nous l'aurons
- Quand ? Il la regarda avec désarroi. « Mais tu... »
- Quand ?
- Alors, tu ... Arthur semblait céder du terrain. Alors, tu penses vraiment...
- Moi ? Je pense que si des gens proposent ça, c'est dans un simple but d'enquête ! Ils veulent établir le pourcentage de ceux qui accepteraient ! Ils prétendent que quelqu'un mourra, mais uniquement pour noter les réactions... culpabilité, inquiétude, que sais-je ! Tu ne crois tout de même pas qu'ils iraient vraiment tuer un être humain, voyons ?
Quand il fut parti à son travail, Norma était toujours assise, les yeux fixés sur sa tasse vide. Je vais être en retard, songea-t-elle. Elle haussa les épaules. Quelle importance, après tout ? La place d'une femme est au foyer, et non dans un bureau.
Alors qu'elle rangeait la vaisselle, elle abandonna brusquement l'évier, s'essuya les mains et sortit le paquet du placard. L'ayant défait, elle posa la petite boite sur la table. Elle resta longtemps à la regarder avant d'ouvrir l'enveloppe contenant la clé. Elle ôta le dôme de verre. Le bouton, véritablement, la fascinait. Comme on peut être bête ! Songea-t-elle. Tant d'histoires pour un truc qui ne rime à rien.
Elle avança la main, posa le bout du doigt… et appuya. Pour nous deux, se répéta-t-elle rageusement.
Elle ne put quand même s'empêcher de frémir. Est-ce que, malgré tout ?... Un frisson glacé la parcourut.
Un moment plus tard, c'était fini. Elle eut un petit rire ironique. Comme on peut être bête! Se monter la tête pour des billevesées.
Elle jeta la boîte à la poubelle et courut s'habiller pour partir à son travail.

Elle venait de mettre la viande du soir à griller et de se préparer son habituel martini-vodka quand le téléphone se mit à sonner. Elle décrocha.
- Allô,
- Mrs. Lewis ?
- c'est elle-même.
- Ici l'hôpital de Lenox Hill.
Elle crut vivre un cauchemar à mesure que la voix l'informait de l'accident survenu dans le métro : la cohue sur le quai, son mari bousculé, déséquilibré, précipité sur la voie à l'instant même où une rame arrivait. Elle avait conscience de hocher la tête, mécaniquement, sans pouvoir s'arrêter.
Elle raccrocha. Alors seulement elle se rappela l'assurance-vie, une prime de 25000 dollars, une clause de double indemnité en cas de...
Alors elle fracassa la boite contre le bord de l'évier. Elle frappa à coups redoublés, de plus en plus fort, jusqu'à ce que le bois eût éclaté. Elle arracha les débris, insensible aux coupures qu'elle se faisait. La caissette ne contenait rien. Pas le moindre fil. Elle était vide.

Quand le téléphone sonna, Norma suffoqua, comme une personne qui se noie. Elle vacilla jusqu'au living-room, saisit le récepteur.
- Mrs. Lewis ? Articula doucement Mr. Steward.
Etait-ce bien sa voix à elle qui hurlait ainsi ? Non, impossible !
- Vous m'aviez bien dit que je ne connaîtrais pas la personne qui devait mourir ?
- Mais, chère madame, objecta Mr. Steward, croyez-vous vraiment que vous connaissiez votre mari ?

 


Richard Matheson, Button, Button,
traduit par René Lathière
in La Grande Anthologie du Fantastique,
de Jacques Goimard et Roland Stragliati
© tous droits réservés, Presses Pocket (1981)


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